Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/320

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exemple du désordre d’idées dont l’entendement humain est capable, on n’aurait qu’à citer les écrivains qui ont écrit sur le droit de la guerre.

On est si loin de concevoir la guerre comme un combat légal, où les forces doivent se mesurer et se vaincre, non se détruire, qu’au contraire la première et principale pensée des gens de guerre est pour la destruction. Si ce n’est pas positivement pour détruire qu’ils font la guerre, du moins il leur semble que détruire est si bien la condition et le moyen de la guerre, qu’à leurs yeux les actes les plus épouvantables de dévastation ne souffrent pas la moindre difficulté. Comme on reprochait à Turenne, en présence du général Bonaparte, l’incendie du Palatinat : « Turenne, répondit le jeune guerrier, était dans son droit, s’il jugeait cette exécution utile à l’accomplissement de ses desseins. »

Et, en effet, Turenne agissait en vertu du droit de la guerre, tel qu’il est exposé dans les auteurs. Ce qu’ils blâment n’est pas la dévastation en elle-même, c’est la dévastation inutile. Mais à quoi se reconnaît l’utilité d’une pareille rigueur ? Quelle est la limite de cette utilité ? Là-dessus, pas un mot. Le général jugera. Donc on ravage les terres, on brûle les moissons, on coupe les vignes et les arbres fruitiers, on détruit les forêts, on embrase villes et villages, on n’épargne ni l’âge ni le sexe, on tue jusqu’aux animaux. Certain colonel d’Afrique fit enfumer un jour 600 Arabes, hommes, femmes, enfants, vieillards, réfugiés avec leur bétail dans une grotte, ni plus ni moins que s’il se fût agi d’une bande de chacals. — Il en avait le droit, dites-vous, s’il le jugeait nécessaire pour l’exemple, et par motif de représailles. — C’est toujours la même raison, l’utilité. Aussi je n’accuse pas ce colonel, qui, j’en suis convaincu, agissait en conscience. Je me demande si c’est bien là l’esprit de la guerre.