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des batailles ne produisit pareil virtuose ; jamais non plus favori de la victoire ne fut aussi humilié par la force. Étudiée sous ce point de vue, la carrière de Napoléon Ier change d’aspect : en voyant le grand capitaine trompé par une fausse science, on éprouve pour lui plus de sympathie. Quant à sa politique, elle fut ce qu’elle pouvait être, un effort de génie sur un problème que ses données rendaient insoluble.

Le chef-d’œuvre de Napoléon fut la campagne de France en 1814. En soixante et un jours, du 29 janvier au 30 mars, il fut livré, tant par Napoléon en personne que par ses généraux, dix-huit batailles, sans compter les rencontres fortuites qui avaient lieu dans le pêle-mêle. Jamais, au rapport des historiens, Napoléon ne montra plus de génie, d’activité, d’heureuse audace ; jamais en moins de temps il ne cueillit tant et de si sanglants lauriers. Et cette merveilleuse campagne finit par la prise de la capitale, la déchéance de l’empereur et son abdication ! Passez du côté des alliés : jamais ils n’avaient été plus souvent, plus complétement battus ; jamais la fortune des armes n’avait été pour eux si contraire ; jamais, attaqués par des forces si faibles, ils n’avaient perdu tant de monde. Et le résultat de toutes ces défaites fut de les amener vainqueurs au pied de la Colonne, de les rendre arbitres des destinées de la France, de leur permettre d’en changer la dynastie et le gouvernement, et d’en rétablir les limites telles qu’elles étaient avant l’invasion de 92.

La raison de tous ces faits, en apparence contradictoires, et que M. Thiers, à la façon des poètes tragiques, représente comme un caprice de la destinée, cette raison est simple, accessible à toutes les intelligences, et elle confirme admirablement nos principes. C’est d’abord que, pour réduire une nation chez elle, il faut une force bien supérieure à celle qui serait nécessaire pour vaincre l’ar-