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temps par l’intensité de son action. Ce fut l’illusion de sa vie, illusion si forte qu’elle séduisit ses contemporains et tous ses compagnons d’armes, et qu’elle séduit encore aujourd’hui ses historiens. Mais il est un terme à toute fantasmagorie. Voulez-vous la vérité tout entière sur Napoléon ? Il ne s’agit ni d’exagérer l’homme ni de rabaisser le héros : prenez seulement le contre-pied des appréciations de son historien et admirateur, M. Thiers.

Comment, en fin de compte, l’empereur est-il tombé ? — C’est, dit le général Jomini, que devant la multitude croissante de ses ennemis il n’avait pas la force. — Et comment, ayant vaincu successivement toutes les puissances de l’Europe et grossi son empire de leurs dépouilles, n’avait-il pas la force ? Cela semble contradictoire. — La raison en est, d’un côté, que les victoires de l’empereur étaient beaucoup moins dues à la supériorité de ses forces qu’à celle de sa tactique, qu’en conséquence les conquêtes de Napoléon, accomplies avec une merveilleuse habileté, mais, pourquoi ne pas le dire ? en dépit du droit de la force, résistaient ensuite d’autant mieux à l’incorporation. En sorte que Napoléon, après avoir, croyait-il, vaincu et conquis l’Europe, se trouvait avoir l’Europe contre lui. Voilà le mystère, et toutes les considérations de morale tempérée et de politique juste-milieu de M. Thiers ne signifient absolument rien.

On fait tort à Napoléon, quand on parle de son talent de tacticien et de stratége, et qu’on en prend texte pour déprécier sa politique, ajoutons, et son héroïsme. Si jamais homme parut né pour entraîner des multitudes humaines, enthousiasmer des soldats et les conduire dans les joutes de la force, sans nul secours de la ruse et de l’artifice, ce fut assurément celui-là. Son âme généreuse, vraiment guerrière, respire dans ses proclamations. Son siècle et ses études le firent autre ; il en fut la victime. Jamais l’art