Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/307

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’après la loi du duel et la notion de la guerre, le droit strict serait qu’on se prévînt, afin que, chacun étant sur ses gardes, on combattit de part et d’autre avec toutes ses forces. Je n’irai pas jusque-là : ce serait, par excès de courtoisie, tomber dans un autre abus. Dire à l’ennemi, comme firent les Français à Fontenoy : Tirez les premiers, messieurs les Anglais, serait une fanfaronnade dont un général rendrait compte aujourd’hui devant un conseil de guerre.

Mais le contraire est-il moins anormal ? Attaquer à l’improviste, par derrière, la nuit s’il se peut ; égorger l’ennemi dans son sommeil, le brûler dans son camp, l’écraser dans sa dispersion, l’accabler de la supériorité des armes : tout cela, depuis Homère, est réputé de bonne guerre. C’est le grand secret de la victoire. Le triomphe sera d’autant plus beau que le moins fort en hommes et en matériel, peut-être le moins brave, aura réussi, par ruse ou artifice, à se soustraire à une défaite certaine et à détruire un ennemi de tous points supérieur : ce qui renverse toute idée d’une lutte des forces, et conséquemment d’une décision par les armes.

J’entends qu’on se récrie : La guerre n’est pas un tournoi, et ce serait en exagérer la moralité que de l’assimiler à une affaire d’honneur. C’est un engagement entre deux états, dans lequel chacun combat pour son territoire, pour son indépendance ou sa suprématie ; où il s’agit, en un mot, de son existence même. Détruis-moi, ou je te détruirai ; telle est la maxime de l’homme de guerre. Dans cette situation, la loi du salut public prescrit de ne pas marchander l’ennemi : Dolus an virtus, dit le poète, quis in hoste requirat ?

Ne retombons pas dans des divagations désormais épuisées. S’agit-il de dénicher une bande de flibustiers, de repousser une incursion de pirates ? Je n’ai rien à répondre.