Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/306

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tesses et des masses ; c’est par la prévoyance, l’art de gouverner les hommes, de les animer, de les faire mouvoir, d’en tirer tout ce qu’ils contiennent d’énergie. Le général d’armée sourit aujourd’hui des tours de passe-passe des anciens héros ; il se croirait perdu, s’il se savait seulement capable d’en concevoir l’idée.

D’après ces considérations, on se demande donc dans quelle mesure et en quelle qualité l’esprit peut intervenir dans les luttes de la force, si l’adresse et l’habileté, dont la guerre comporte le déploiement, peuvent aller jusqu’à ces piéges et traquenards dont on use volontiers avec les malfaiteurs et les bêtes fauves, mais dont avait horreur l’ancienne chevalerie, et qu’il répugne de voir employer vis-à-vis de loyaux ennemis ?

Une partie importante de l’art de la guerre, d’après les auteurs, consiste en ces deux opérations inverses l’une de l’autre : Surprendre l’ennemi, et se dérober. Sous ce rapport, les manœuvres du chef d’armée ne sont pas autre chose qu’une extension, plus ou moins licite et bien entendue, des procédés de l’escrime. « Les mouvements qui réussissent le mieux, disent les professeurs d’art militaire, ceux qui produisent les résultats les plus grands et les plus décisifs, sont ceux dont on a pu dérober la connaissance et surtout le mécanisme à l’ennemi. » C’est ce que Napoléon Ier appelait prendre en flagrant délit.

Flagrant délit de quoi ? De halte, de bivac, de marche de flanc ou dans un défilé, d’agglomération ou d’éparpillement ? Certes, la vigilance est de commande à la guerre ; s’il est pardonnable à un général d’être vaincu, il ne l’est pas de se laisser surprendre. Mais prenons garde, en accordant trop à la tactique, de tomber dans le guet-apens. Car, comme nous aurons plus d’une occasion de le remarquer, indépendamment de l’irrégularité, les résultats n’en sont jamais, pour le vainqueur, ni avantageux ni glorieux.