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telligence compte aussi pour une force ; l’industrie, l’art sont des forces. A moins qu’on ne les dispense du service militaire, comme on dispense les ecclésiastiques, les professeurs et les magistrats, ces forces doivent avoir leur part dans la guerre. Retrancher des moyens légitimes de vaincre les facultés morales et intellectuelles, la promptitude et la sûreté du coup d’œil, le sang-froid, la vigilance, la fertilité de l’esprit, la rapidité des mouvements, l’application des procédés de l’art et de l’industrie, l’emploi de la science, ce n’est pas seulement chose impossible, ce serait chose absurde. Celui qui ne sait ni se garder, ni se mouvoir, tirer parti des choses, se créer des ressources, ou qui dans un siècle de haute civilisation voudrait en revenir à la fronde et à la massue, celui-là est indigne de vaincre, d’autant plus indigne que la victoire a pour but la souveraineté, et que le jugement de la force n’a pas été institué, apparemment, afin d’assurer le pouvoir aux brutes. La bataille finie, l’intelligence reprend ses droits ; la force règne, mais l’esprit gouverne.

C’est en ce sens qu’il faut expliquer le cas que faisaient les anciens des ruses de guerre et des stratagèmes. Placés comme ils l’étaient, à la naissance des sciences et des arts, sous l’empire presque exclusif de la force, ils sentaient d’autant mieux le prix de l’intelligence, et c’était à la guerre qu’ils exerçaient surtout leur esprit. Dans leur simplicité, ils prenaient pour esprit, science et haute raison, ce qui n’était que ruse, finesse, tromperie. Il semble même que les victoires les plus glorieuses pour eux étaient celles obtenues par stratagème, avec le moins de force possible. Mais, dans la guerre comme dans la paix, l’humanité a marché : la tactique et la stratégie, devenues des sciences, ont abrogé ces tours de vieille guerre. Ce n’est plus par des roueries de sauvage que l’esprit se signale dans les combats, c’est par le calcul des forces, des temps, des vi-