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La guerre, dis-je, qui nous est apparue jusqu’ici comme la manifestation la plus grandiose du droit, devient le monstre décrit par les poëtes, la furie de la destruction et du carnage.

Oh ! si la guerre n’était que ce qu’elle prétend être, ce que de tout temps, personne plus que moi n’aime à lui rendre ce témoignage, elle aspira à devenir, un appel à la force dans une question de force ; si du moins les légistes, à qui le calme de l’étude permettait de garder plus de sang-froid que l’ardeur du combat n’en peut laisser aux soldats, avaient su distinguer nettement, dans cette lutte des forces, l’emploi de l’abus ; si nous pouvions espérer, dans cet exercice redoutable de la puissance armée, une réforme : j’avoue que, bien loin de m’effrayer de l’effusion du sang, je verrais dans ce mystère de la mort et de la justice la consommation de la félicité humaine, j’adorerais la guerre comme la manifestation la plus sublime de la conscience, et je m’inclinerais à la voix du canon comme le peuple d’Israël à la voix de Jéhovah.

Malheureusement, ce n’est pas ainsi que les choses se passent. La guerre n’est point telle, dans son action, que son principe et sa fin la supposent. La théorie dit blanc, la pratique exécute noir ; tandis que la tendance est au droit, la réalité ne sort pas de l’extermination. Entre le fait et l’idée, non-seulement la contradiction est complète, elle paraît irrémédiable. Et ce ne sera pas la moins ardue des questions que nous aurons à résoudre de savoir comment, les principes étant aussi manifestes, la raison des légistes, le point d’honneur des guerriers, la conscience des masses, l’intérêt des vainqueurs autant que celui des vaincus, tout le monde enfin étant d’accord, il a été impossible de purger le duel entre états des horreurs qui le déshonorent.