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elle établit son droit. Tandis que le duel n’a de valeur que par la cause qui le détermine : en lui-même il ne prouve rien ; ce n’est que par hasard qu’il fait justice, l’issue du combat pouvant être indifféremment favorable à l’offenseur comme à l’offensé.

Telle qu’elle se pose, comparativement au duel, la guerre nous apparaît donc comme le sommet de l’humaine vertu, une justice divine, évoquée par la conscience des nations pour le plus grand et le plus solennel jugement. Le champ de bataille est la véritable assise des peuples ; c’est la communion et le paradis des braves. Comment donc, à ce tribunal suprême, n’y aurait-il pas des règles ? Comment la guerre, la souveraine justicière, serait-elle dépourvue de formes ?

Que le lecteur daigne, en ce moment, redoubler d’attention, et se défaire, en me lisant, de tout préjugé. Les erreurs de l’humanité ne sont si opiniâtres que parce qu’elles tiennent à des causes profondes, consacrées par l’usage et le temps, et dont la raison publique a peine à se rendre compte. Ce n’était pas un médiocre paradoxe que d’affirmer la réalité d’un droit de la force ; c’en est un autre peut-être encore plus énorme, de soutenir que, la guerre étant une sorte d’action judiciaire, les moyens de contrainte ne lui conviennent pas tous indifféremment, et qu’une manière de combattre qui aurait pour résultat de donner la victoire au plus faible et d’annihiler le bénéfice de la force, serait un attentat au droit des gens et une véritable félonie.

Rappelons une dernière fois comment se pose entre deux nations le cas de guerre, c’est-à-dire d’un litige qui ne se peut vider, selon l’expression de Cicéron, que par les voies de la force.

Voici des familles, des tribus, qui, nées à distance les unes des autres, sur un vaste plateau, au sein des forêts