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les philosophes, s’établit donc en prenant pour expression, selon l’esprit antique, l’unité politique ; c’est-ce que l’on appelle empire romain. Mais le mouvement qui poussait à l’unité de culte n’impliquait que transitoirement l’unité d’État : à peine la propagande monothéiste est terminée, que le démembrement de l’empire s’opère ; les empereurs y mettent les premiers la main. La conquête latine s’annule d’elle-même, comme si, abstraction faite de l’établissement chrétien, les triomphes de Rome, depuis la descente d’Appius Clodius en Sicile jusqu’à la bataille d’Actium, eussent été de purs effets de tactique, non des produits réguliers de la force.

Les mêmes lois d’incorporation et de délimitation ont présidé à la formation des États modernes, et en gouvernent les mouvements. Il serait difficile de dire à quoi aboutira l’agitation contemporaine : mais on ne saurait méconnaître que l’Europe, depuis quinze siècles, a tendu constamment, invinciblement, à se diviser en un certain nombre de groupes dont l’exacte délimitation est peut-être aujourd’hui, en matière de droit international, la seule question en litige. Parmi ces groupes, les uns semblent arrivés à leur maximum d’étendue, les autres sont en pleine élaboration. Le degré de civilisation étant à peu près le même partout, partout aussi répulsion énergique à se fusionner : ce qui veut dire que l’hypothèse d’une monarchie européenne est anti-européenne. Or, qu’on veuille bien le remarquer, c’est par la guerre, par des luttes sans cesse renouvelées, et pour ainsi dire compensées, que cette formation d’États divers, qu’il est permis de considérer désormais comme irréductible, a eu lieu.

L’invasion des barbares fut l’instrument dont la justice providentielle s’est servie pour diviser l’empire romain, et de ses fractions former de nouveaux états. Cette division obtenue, on voit d’abord la barbarie partout s’évanouir :