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l’homme antique pire que la mort. Nous n’en sommes plus là ; avec la vie de province, nous avons perdu le vrai sens du pays, de la nationalité, de la patrie. Il est inutile d’en rechercher les causes. Aussi la guerre est-elle aujourd’hui plutôt gouvernementale que nationale, ce qui ne contribue pas peu à nous en faire méconnaître le spiritualisme, la haute moralité. La guerre, avec ses armes sanglantes et ses monceaux de cadavres, nous semble, à tous les points de vue, atroce. Est-ce une preuve de notre progrès ? En tout cas, ce n’est pas une preuve de notre intelligence, encore moins de notre vertu.

La guerre avait donc, pour l’homme des premiers âges, cette signification qu’elle conserve toujours de gouvernement à gouvernement :

Que, par le cours inévitable des choses, — par un arrêt du destin, — un État, parmi ceux existants, était condamné à périr ;

Qu’en vertu du droit de la force, la condamnation tombait sur le plus faible ;

Qu’en conséquence, mourir pour mourir, le mieux était, pour les citoyens de cet État, d’embrasser avec courage la dernière planche de salut, en affirmant, les armes à la main, l’inviolabilité de leur patrie. La guerre est le jugement de la force : c’est ce qu’exprime le mythe de Jupiter, pesant dans une balance les destinées d’Achille et d’Hector, les deux champions de la Grèce et de Troie.

Nos moralistes appellent cette justice une justice de cannibales. Ils voudraient apparemment que les puissances belligérantes nommassent des commissaires, chargés de dresser une statistique des deux pays ; cela fait, qu’on procédât à la constitution d’un nouvel État, où les intérêts de chaque peuple seraient ménagés, équilibrés, de manière à satisfaire tous les amours-propres. Ils n’oublient qu’une chose, ces excellents pacificateurs, c’est que la religion, la