Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec toi ; ton peuple sera mon peuple, ton Dieu sera mon Dieu. Une nation ne se sacrifie pas, elle proteste contre l’absorption ; à tout le moins elle réclame des compensations, des priviléges, des garanties qu’il est dangereux, souvent impossible d’accorder.

La guerre est donc forcée : que signifie-t-elle ?

Tâchons pour un moment de nous élever au-dessus de nos instincts casaniers, aussi peu vertueux au fond que peu patriotiques. L’homme moderne, perdu dans de vastes États, n’ayant de rapport avec le gouvernement que par l’impôt, ne connaissant de la patrie que le nom ou plutôt le mythe, raisonne volontiers comme l’âne de la fable : Que m’importe le maître, pourvu que je ne porte que mon bât ? Avoir le râtelier plein, se soustraire aux coups, rendre au maître le moins de service possible, le voler si l’occasion se présente, c’est à peu près a cela que se réduit, pour beaucoup de gens, le droit et le devoir civiques. Nous avons cent façons d’exprimer ces beaux sentiments : Le véritable Amphitryon est l’Amphitryon où l’on dîne ; Celui qui sera mon curé, je serai son paroissien. Ou bien encore : Le gouvernement légitime est celui qui nous fait gagner le plus et qui nous demande le moins. Je ne sais qui a dit en latin : Ubi bene, ibi patria ; Là où l’on se trouve bien, là est la patrie. Mais je ne reconnais pas là l’esprit antique. Ce scepticisme à l’endroit de la patrie est de notre siècle.

L’homme de la cité primitive pensait tout autrement. Sans doute le risque de ses biens, la perte de ses honneurs entraient pour quelque chose dans son horreur de la domination étrangère. Mais il faut reconnaître aussi que les choses du spirituel, la religion des dieux, le souvenir des ancêtres, les institutions du pays, l’honneur de la race, lui tenaient singulièrement au cœur. Cet effacement des lois, des mœurs, de tout ce qui fait l’originalité, le caractère et la vie d’un peuple, effet de l’incorporation, semblait à