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nomène ; et plus cette apparition formidable nous avait semblé jusqu’alors ravaler notre espèce, plus nous avons senti tout à coup qu’elle nous relevait.

Tous nos efforts ont donc tendu à déterminer, d’une manière précise, cet élément moral. Pour cela, nous avons eu à triompher de l’universelle réprobation des auteurs, aux yeux de qui la guerre est purement et simplement un mal, pour ne pas dire le mal, et le droit de la force, la négation de tout droit et de toute justice. Nous avons constaté que sur cette hypothèse, inhérente à l’idée de guerre, de la réalité d’un droit et de la légitimité d’une juridiction de la force, tous les auteurs, juristes et publicistes, philosophes et poëtes, se séparent radicalement, et à l’unanimité, de la foi des nations. Ceux qui recourent à la force, comme à une sanction nécessaire du droit, ne le font qu’à contre-cœur, en invoquant un principe étranger au droit, le principe d’utilité, ou sous-entendant que la justice n’ayant sa sanction, comme son principe, qu’en Dieu, l’humanité étant déchue, la sanction de la force est le signe de notre méchanceté et l’instrument de notre supplice. Le droit de la force, disent-ils tous, n’est pas un droit ; c’est la négation du droit. D’où il résulte, si les auteurs disent vrai, que la guerre n’aurait à son tour rien de juridique, ce dont volontiers ils conviennent ; bien plus, mais ce dont ils ne se sont pas aperçus, que le droit des gens serait un vain mot, le droit politique une fiction, finalement le droit civil et le droit économique des conventions sans garanties comme sans principes.

Une opposition aussi tranchée entre le sentiment universel et l’autorité de l’École, les conséquences désastreuses qu’entraînerait la théorie des juristes, tant pour la certitude des principes que pour la conduite des sociétés, nous commandaient de reprendre à fond l’examen du problème.