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peut posséder nominalement et exploiter par l’intermédiaire d’un fermier. La nature du droit, de même que celle des choses, n’admet pas cette propriété abstraite ; la société fait effort contre elle ; et tous les jours nous voyons la propriété retomber des mains du rentier dans celle du cultivateur.

Ainsi, de citoyen à citoyen, de famille à famille, de corporation à corporation, de société à société, se transforme, par la mutualité des garanties, le droit de la force. Il faut, en quelque sorte, le dévêtir pour le faire reparaître. Il ne se fait plus sentir que de loin en loin, d’une manière indirecte, dans le contrat de louage d’ouvrage, dans la commandite, etc., où la supériorité de force, de travail, de capital, d’industrie, entraîne la supériorité du salaire. Comme si la force, chose animale, faisait honte à l’humanité intelligente et libre, le législateur la déguise le plus qu’il lui est possible ; on dirait que, parvenu à cette hauteur, il juge le droit de la force aussi peu digne de l’homme bien élevé que la lutte et le pugilat. C’est la fleur de lis qui renie l’oignon d’où elle est sortie. Mais ce qui semble messéant au citoyen est glorieux au prince. Le droit de la force est l’apanage de la souveraineté, le symbole de la justice. Ace titre, défendu a quiconque de le revendiquer et de s’en prévaloir : Gare à qui y touche ! Sous le régime féodal, le droit de la force n’avait été confisqué qu’en partie ; partie était laissée au baron, qui, en vertu de ce droit de la force, jouissait aussi du droit de guerre et du droit de justice. La révolution a complété l’œuvre commencée par les rois en imposant un éternel silence aux querelles féodales, et en mettant, sous le rapport du droit de la force, les grands feudataires de niveau avec leurs serfs.

Au surplus, dans l’ordre civil même, le droit de la force est loin d’avoir dit son dernier mot. Lui seul peut terminer le débat soulevé depuis une trentaine d’années entre la