Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la liberté. De tout temps le rêve des sages a été de placer un sage à la tête des affaires, et de régler si bien ses attributions que, suffisamment armé pour maintenir l’ordre, il ne pût agir contre les droits et les libertés des citoyens. On sait combien rarement cette espérance a été remplie. Si le pouvoir est électif et que l’élection soit laissée à la multitude, ce sera le plus souvent un militaire, un général illustré par ses faits d’armes, qui enlèvera les suffrages. Supposons que le prince appartienne à l’ordre civil, comme dans le cas d’hérédité : il suffira que le prince, faisant la guerre par ses généraux, triomphe dans quelques campagnes, pour que la victoire lui soit comptée comme s’il l’avait remportée en personne. Alors, et dans ce cas comme dans le premier, le chef victorieux ne manque pas de s’arroger des pouvoirs plus étendus, de plus hautes prérogatives, que personne ne songe à lui disputer, et qu’on lui disputerait en vain.

Tel est le prestige de la force que, là où elle existe, le vulgaire est enclin à admettre qu’il y a autorité, et par conséquent droit.

On conçoit maintenant comment la guerre, qui exerce une si grande action sur les idées, en exerce une non moins forte sur les libertés publiques et sur la constitution de l’État. Une nation en guerre est une nation ramassée sur elle-même, formée en bataillons, et qui n’obéit plus qu’à la parole du chef militaire, ne vit plus que de la vie gouvernementale et centrale. L’homme qui mène la guerre est un être si haut placé que tous involontairement lui obéissent ; il devient juge des autres, représentant du droit comme de la force, à la fois législateur, juge et général. Qu’il batte l’ennemi, tout le monde l’adore ; la puissance qui lui fut donnée pour le combat lui reste : le voilà maître.

Que de précautions prises, à Rome, pour prévenir l’usurpation du dictateur, souverain de quinze jours, d’un an