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Or, cette force publique, à qui sera-t-elle confiée ? A un magistrat, à un élu, représentant de la collectivité, ou de la majeure partie de la collectivité, c’est à-dire toujours de la force. Le suffrage universel n’est, à tous les points de vue, qu’une constatation pacifique de la force, et le système représentatif, avec sa loi des majorités, une application raisonnée du droit du plus fort. La noblesse polonaise ne put jamais comprendre cette transformation du droit de la force, admise par tous les peuples. A chaque élection du prince, la diète votait à cheval ; la minorité


      Mais il est évident que la réunion de 100,000 électeurs ne peut pas juridiquement infirmer la volonté d’un seul, ni par conséquent routier, malgré sa protestation, une souveraineté régulière. Mon droit, expression de ma volonté, est indestructible et inaliénable ; et si je me refuse, il n’y a positivement rien, dans l’accord de mes 100,000 contradicteurs, qui couvre mon refus. Un seul homme pourrait ainsi, opposant son veto à la volonté de la majorité, empêcher la loi de passer, paralyser l’action du gouvernement, et rendre le souverain impossible. L’exemple des Polonais, cité plus bas, le démontre, l’absurdité de ce résultat prouve la fausseté de la théorie, purement métaphysique, de Rousseau.
      Je sais bien que pour en finir on déclarera le droit de la majorité supérieur à celui de la minorité, ce qui signifie simplement qu’on fera appel à la force. Mais, à moins que la force n’ait droit par elle-même, on n’aura fait qu’exercer une violence ; ce sera une usurpation, non un acte de justice. Donc c’est le droit de la force, c’est la respectabilité inhérente a la force, en tant que faculté humaine, qui forme la première assise du droit, le premier échelon de l’ordre légal et politique.
      On objectera que ce qui a la force, le peuple, peut très-bien n’avoir pas en même temps la raison : dans ce cas, faudra-t-il toujours dire qu’il est souverain ?
      A cela je réponds, toujours en vertu du même principe, que la force n’a droit qu’autant qu’elle est humaine ; qu’une force dépourvue d’intelligence n’est rien de plus que de la bestialité, un instrument à la disposition de la puissance intelligente qui saura s’en emparer, et avec lequel celle-ci contiendra et asservira le peuple. C’est ce que l’on a vu dans tous les temps, ce qui est arrivé en 1818, lorsque le peuple, convoqué en assemblées électorales, a nommé des assemblées réactionnaires, et ce qui s’est manifesté d’une manière plus sensible encore depuis le coup d’état. La force, je le répète, n’a droit que si elle est humaine, c’est-à-dire, intelligente, morale et libre. Du moment qu’elle se réduit à l’état brut, elle appartient à la pensée qui s’en empare, et elle compte à son profit.