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monde depuis la révolution n’aurait été possible : elles seraient tombées devant la jurisprudence des États. A quoi donc tient-il que nous ne soyons définitivement en paix ? À ce que le droit des gens n’est pas même défini ; à ce que juristes et hommes d’État sont aussi insoucieux, malgré leur morgue, des questions dont leur métier est de s’occuper, que les baïonnettes chargées de les trancher.

En fait de relations internationales, j’ose le dire, il n’existe aucun principe reconnu. Il y a des usages, réduits, d’une façon plus ou moins spécieuse, en théories par les professeurs et sujets à autant d’exceptions qu’il plaît aux diplomates d’en trouver. La politique, autrefois dirigée de haut par l’Église, en vertu du lien qui unissait les deux pouvoirs, spirituel et temporel, est restée, depuis la fin du régime féodal, un art ; elle n’est pas redevenue une doctrine. La diplomatie écrit, échange des notes, scandalise le monde de son impuissance, sans se douter seulement que cette impuissance provient de ce qu’il n’y a pas de transactions plus difficiles que celles qui ont pour objet de régler des questions de vie et de mort, dont la guerre est le seul arbitre. Chaque état suit sa tradition, chaque peuple son instinct, au risque de se prendre dans sa propre cupidité, et c’est tout. L’Italien, en politique, est machiavéliste ; l’Anglais, utilitaire et malthusien ; le Français, glorieux et artiste ; le Russe, comme l’a dit Napoléon Ier, est grec du Bas-Empire ; l’Allemand cherche, sans le trouver, son droit historique, ce qui fait qu’il n’y a toujours point d’Allemagne. Tout est à créer : la Révolution française elle-même n’a produit que des aspirations ; elle a parlé de fraternité universelle, de paix perpétuelle, comme les poètes de l’âge d’or. Mais le premier mot reste à dire ; et ce mot, bien simple, et que je voudrais faire sonner si haut que les morts l’entendissent, c’est que la guerre ne finira, la justice et la liberté ne