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personnes ; c’est une offense à la justice, et la révolution en a détruit jusqu’à la racine. Il y a un droit de la force, un droit de l’intelligence, un droit du travail, un droit de l’échange, un droit de la famille, un droit de propriété, un droit pénal, un droit de procédure civile et criminelle, un droit de la guerre, lesquels droits se distinguent les uns des autres par les facultés ou fonctions qui les produisent et sont identiquement les mêmes dans tous les sujets, grands et petits, individuels et collectifs.

Pour qu’il y ait un véritable droit des gens, il faut donc qu’il existe dans l’être moral, qu’on appelle nation, un ordre de rapports qui ne se trouve pas dans le simple citoyen. De semblables rapports existent-ils ? Toute la question est là. En quoi la nation, que la jurisprudence assimile, sous plusieurs points de vue, à l’individu, en diffère-t-elle de manière à motiver la distinction d’un nouveau droit ? Car il est évident que, sans cette différence dans la nature et la fonction du sujet, le droit des gens n’est qu’un vain mot, tout au plus une pierre d’attente, un cadre vide.

La réponse à cette question nous est fournie par ce que nous avons dit au chapitre précédent du droit de la guerre, et des circonstances qui en déterminent les actes.

Ce qui distingue, au point de vue du droit, l’être collectif, appelé nation ou état, du simple particulier, ce qui établit une ligne de démarcation infranchissable entre la personne sociale et la personne individuelle, c’est que l’immolation de la première peut être, dans un intérêt supérieur, juridiquement requise, tandis que l’immolation de la seconde, hors le cas de crime emportant la peine capitale, ne le peut jamais. Ainsi, la république ne peut, sous prétexte du salut général, requérir le sacrifice de l’innocent, l’exil d’Aristide, la mort de Curtius, le suicide de Thraséa. Elle ne peut pas, sous prétexte de défense ou d’excès de population, expulser les bouches inutiles, or-