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ments dans l’histoire des nations où la pensée publique rompt, comme une toile fragile, la loi qui l’enserre, il en est d’autres où c’est la loi qui étrangle la pensée publique, et que nous sommes à l’un de ces moments-là. Les uns par peur, les autres par zèle, tous par imbécillité, trahissent la liberté, même quand elle leur est offerte. Le gouvernement impérial peut se vanter d’avoir porté haut dans les esprits le culte de l’ordre ; jamais, s’il n’y prend garde, on ne le félicitera d’avoir donné l’essor aux intelligences.

Mais j’oublie qu’il ne m’appartient pas d’accuser les autres, puisque c’est moi-même, ce sont mes pareils que l’on accuse d’avoir corrompu en France la raison publique et perdu la liberté. Tout ce qui m’est permis, c’est de protester de la loyauté de ma pensée et de la modération de ma parole.

Qu’y a-t-il donc en ce livre de si exorbitant, de si antipathique a l’esprit mitoyen de notre époque, qu’un avocat homme d’esprit, sceptique, libéral, ait cru devoir se faire ainsi, par avance, l’exécuteur des jugements de l’opinion ? Lecteur, je m’en vais vous le dire.

J’ai entrepris de réhabiliter un droit honteusement méconnu par tous les juristes, sans lequel ni le droit des gens, ni le droit politique, ni le droit civil, n’ont de vraie et solide base : ce droit est le droit de la force. J’ai soutenu, prouvé, que ce droit de la force, ou du plus fort, dont le nom est pris chaque jour comme une ironie de la justice, est un droit réel, aussi respectable, aussi sacré que tout autre droit, et que c’est sur ce droit de la force, auquel la conscience humaine, en dépit des divagations de l’école, a cru dans tous les temps, que repose en définitive l’édifice social. Mais je n’ai pas dit pour cela que la force fît le droit, qu’elle fût tout le droit, ni qu’elle fût préférable en tout à l’intelligence. J’ai protesté, au contraire, contre de pareilles erreurs.