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est en harmonie avec l’opinion que les hommes ont de la divinité. Les dieux, par une nécessité de la nature, dominent, parce qu’ils sont les plus forts ; il en est de même des hommes. Ce n’est pas nous qui avons établi cette loi ; ce n’est pas nous qui les premiers l’avons appliquée ; nous l’avons reçue toute faite, et nous la transmettrons pour toujours aux temps à venir. Nous agirons aussi maintenant conformément à cette loi, sachant que vous-mêmes, et tous les autres peuples, si vous aviez la même puissance que nous, vous tiendriez la même conduite[1]. »


J’ai suivi la traduction de M. Laurent, parce que cet écrivain, l’un des plus érudits de la Belgique, est en même temps l’un des adversaires les plus énergiques du principe que je défends, le droit de la force. Mais le grec de Thucydide est plus explicite : il signifie que le droit de la force est tout à la fois une inspiration de la conscience, par l’idée que tous les hommes se font de la divinité, et une loi de la nature, qui veut que là où se trouve la force, là soit aussi le commandement. Telle est cette profession du droit de la force, qui a révolté la plupart des historiens, et que Denys d’Halicarnasse, qui écrivait quatre siècles plus tard, ne comprenait pas plus que Cicéron, et trouvait digne d’un brigand, d’un pirate. Cependant, observe M. Laurent, le même Denys rendait hommage à ce droit, quand il proclamait le droit des Romains au gouvernement des nations, parce qu’ils étaient les plus forts.

Après la bataille d’Ægos-Potamos, où fut anéantie la puissance des Athéniens, Lysandre assembla les alliés pour délibérer sur le sort des prisonniers. Il appela Philoclès, un des généraux athéniens, et lui demanda à quelle peine il se condamnait lui-même pour avoir fait porter un décret

  1. Histoire du droit des gens, par F. Laurent, t. II, p. 303.