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Dans nos colléges, les premiers de chaque classe ne sont-ils pas aussi les forts ? Au fort les honneurs et le commandement. Avec autant de raison que le métaphysicien, le sauvage peut dire que la justice n’est autre chose que la considération de la force.

Qu’est-ce qui fait l’agitation permanente de la société, sa division menaçante en aristocratie et démocratie, bourgeoisie et prolétariat, si ce n’est que le droit de la force n’a jamais été reconnu, comme il doit l’être, dans les masses ? Avant la révolution, noblesse, clergé, royauté, bourgeoisie, avaient fini par se constituer d’une façon à peu près régulière, par la reconnaissance mutuelle de leurs forces. La révolution changea ce système ; mais la bourgeoisie ressuscita de l’état économique où 89 et 93 avaient laissé la société ; et la force populaire, classée à part, ne fut pas reconnue. Le peuple est toujours le monstre que l’on combat, qu’on musèle et qu’on enchaîne, In camo et freno maxillas eorum constringe ; que l’on conduit par adresse, comme le rhinocéros et l’éléphant ; qu’on dompte par la famine, qu’on saigne par la colonisation et la guerre, mais qu’on refoule, le plus qu’on peut, hors le droit et la politique. Les gouvernements des nations se reconnaissent entre eux ; les classes supérieures se reconnaissent aussi entre elles : le peuple n’est, à vrai dire, jamais reconnu que pour la forme, et cela parce qu’il n’y a autre chose en lui que de la force.

Ce qui a causé l’erreur des juristes à l’égard du droit de la force, c’est que ce droit était, pour ainsi dire, masqué sous l’épaisse ramure des droits de toute sorte qui avaient poussé sur ce tronc antique ; c’est qu’ils n’ont compris de la force que la violence et l’abus ; c’est qu’enfin, comme ils n’avaient pas su reconnaître dans le progrès de la justice une sorte de développement et de différentiation du droit du plus fort, de même, aux époques de décadence et de