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La matière est une force, aussi bien que l’esprit ; la science, le génie, la vertu, les passions, de même que les capitaux et les machines, sont des forces. Nous appelons puissance une nation organisée politiquement ; pouvoir la force politique, collective, de cette nation. De toutes les forces, la plus grande, tant dans l’ordre spirituel et moral que dans l’ordre matériel, est l’association, qu’on peut définir l’incarnation de la justice.

Ici nous apparaît, dans toute son évidence, ce que nous ne faisions que soupçonner tout à l’heure, savoir : que le droit de la force, tant honni, est non-seulement le premier en date, le plus anciennement reconnu, mais la souche et le fondement de toute espèce de droits. Les autres droits ne sont, à vrai dire, que des ramifications ou transformations de celui-là. En sorte que, bien loin que la force répugne par elle-même à la justice, il serait plus exact de dire que la justice n’est elle-même que la dignité de la force.

La prépondérance du mari sur la femme, du père sur l’enfant, se résout dans le droit du plus fort. Pourquoi le nier ? Pourquoi, hommes, en rougirions-nous ? Pourquoi, femmes, en feriez-vous un texte de plaintes ? Papa est le maître, disait une petite-fille à son frère qui se permettait de discuter une prescription paternelle. Au jugement de cette enfant, ce père avait en lui la raison parce qu’il avait la puissance, et cela, vrai au fond, faux seulement alors que commence la distinction des facultés et des droits, lui paraissait sublime. Les peuples primitifs ne raisonnent pas autrement. Ils connaissent peu ce que nous appelons talent, science, génie : chez eux, le savoir est en commun, l’intelligence de même niveau ; ils ne travaillent point, dans le sens économique du mot, et ramènent tout à la force. Le plus fort est donc pour eux le plus méritant ; ils n’ont même qu’un mot, aristos, pour rendre ces deux idées.