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droit ; sans elle il n’est qu’un vain mot, un véritable fantôme. Cette force n’existe que dans l’ordre social et par l’ordre social, ou plutôt elle le constitue. Ce n’est pas la moralité des hommes qui peut rassurer contre l’abus qu’ils pourraient faire de leurs moyens ; ce n’est pas elle qui fait régner le droit et la justice ; c’est l’existence de la puissance publique qui produit ce bel effet[1]. »


Le protestant Ancillon raisonne juste comme l’athée Hobbes ; il basphème l’humanité, nie la justice, et assied son autorité sur la base unique de la force. Il ne songe pas que la justice n’a d’autre sanction qu’elle-même ; que la force, par conséquent, ne peut servir a sanctionner que le droit de la force ; et que si elle joue un si grand rôle dans les affaires humaines, c’est qu’apparemment ce droit de la force, qu’on n’a pas même le bon sens de reconnaître, est lui-même le point de départ et le fondement de tous les droits. Si l’on peut dire, par une sorte d’interversion familière aux poètes, que la force publique est la sanction de l’ordre public, c'est que la force est impliquée, comme droit spécial et primordial, dans la justice publique, faute de quoi l’ordre public ne serait lui-même que la tyrannie publique. Voilà ce que Hobbes, qui a fait la théorie du pouvoir fort, autrement dit pouvoir absolu, n’a pas compris ; sans quoi il serait arrivé du respect de la force au respect de la personne humaine, il aurait affirmé la réalité de la justice, et changé de fond en comble son système.

La force est d’autant plus à prendre en considération dans la théorie de l’origine et du dégagement des droits, que la métaphysique moderne ramène tout à des forces.

  1. Histoire du droit des gens, par F. Laurent, t. II, p. 205.