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et naturelle. Les idées, en petit nombre, enveloppées dans les faits, ou représentées par des symboles qui équivalaient à des faits, portaient leur justification en elles-mêmes ; personne n’éprouvait le besoin de s’en rendre autrement compte.

Il n’en est plus de même pour nous autres modernes. Notre civilisation est tout analytique. Nous vivons de raisonnement, n’admettant que ce qui nous est démontré, et rejetant tout principe, tout fait, toute tradition et toute loi qui contredit les idées acquises, ou qui ne peut prendre rang dans notre encyclopédie, en se traduisant en une suite de propositions certaines. Tant que cette lumière n’est pas faite, la raison proteste contre la loi qui l’enchaîne et la fatalité qui l’obsède ; et elle se fait autant de mal par sa négation qu’elle en reçoit du fait même ou du préjugé qu’elle nie, parce qu’elle ne se l’explique pas.

En ce qui touche la guerre, l’inconvénient serait médiocre si elle avait diminué avec la conviction du droit dont elle est censée être la poursuite ou l’exercice. Malheureusement, c’est presque le contraire qui a lieu : on ne croit presque plus au droit de la guerre, et jamais le fléau ne fut plus difficile à maîtriser et ne parut plus terrible. En sorte que, par une contradiction d’un nouveau genre, d’un côté, la jurisprudence regarde le droit de la guerre comme une fable ; la philosophie, en horreur de ce droit qu’elle ne comprend point, s’insurge contre les faits et se plonge dans l’utopie ; le commerce, la littérature et la science se forment en congrès et se coalisent pour imposer aux chefs d’état le désarmement général ; — d’autre part, les gouvernements sont toujours en brouille, les peuples rêvent de batailles et se groupent pour se mieux écraser ; les armées se multiplient ; toute l’épargne des nations est dépensée en munitions de guerre ; enfin, l’on avoue, de droite et de gauche, à qui mieux mieux, sans savoir ce que l’on dit,