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tion vis-à-vis de l’ennemi ou des violateurs du pacte : bien loin que Hobbes la reconnaisse comme un élément ou une forme du droit, c’est contre elle, contre son exercice barbare, anarchique, immoral, qu’est dirigée l’institution sociale, formée par les contrats. Faire de Hobbes le théoricien ou l’apologiste du droit de la force, du droit du plus fort, c’est tout simplement prendre le contre-pied de sa pensée, une pure calomnie.

Mais, direz-vous, Hobbes n’enseigne-t-il pas que le meilleur gouvernement est celui de la force ; n’est-il pas le partisan du pouvoir absolu ? — Il faut s’entendre. C’est ici, en effet, qu’apparaît la faiblesse du système de Hobbes ; mais c’est ici, en même temps, que ce philosophe a montré la puissance de son génie.

Rappelons-nous ce que nous disions tout à l’heure. Appuyée seulement sur les conclusions de la nécessité et de l’intérêt, la justice n’est qu’une fiction de l’entendement, la société un état instable. C’est pourquoi nous disons qu’il y a dans la justice autre chose qu’une loi de nécessité et un calcul d’intérêt ; il y a une puissance de notre âme qui nous fait affirmer ce qui est juste indépendamment même de tout intérêt ; qui nous fait vouloir, avant toute chose, l’ordre public, et nous attache à la cité plus fortement qu’à notre famille, à nos amours et à tout ce qui relève exclusivement de notre égoïsme.

Hobbes sentait, comme nous, l’importance de ce ciment social que fournissait la religion, et qui pour nous n’est autre que la justice même. Ne pouvant le demander à la conscience, qu’il écartait par suite de la confusion qu’il faisait du sentiment moral et du sentiment religieux, il était forcé de le chercher dans l’organisation même de l’État. Cet élément nouveau, ce principe sanctionnateur, qui devait, selon lui, achever l’œuvre si bien commencée par la nécessité, développée par le contrat, c’était la force,