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convié à l’état social et juridique par un simple calcul d’intérêt ou de nécessité, comme le dit Hobbes ; le motif d’intérêt eût été impuissant par lui-même à maintenir l’état social. Chacun voulant bien de la paix tant qu’elle lui est utile, mais la repoussant et déchirant le pacte dès qu’il la juge défavorable à son égoïsme, la multitude humaine aurait vécu dans un état de dissolution perpétuelle. A la guerre se serait jointe la trahison ; et cette fausse paix, ce faux état de société eût été pire pour notre race que le primitif et franc état de guerre. Une force de cohésion est ici indispensable ; cette force, nous la trouvons dans le principe de justice, qui, plus puissant sur les cœurs, à la longue, que l’intérêt et la nécessité, pousse l’homme à l’association, fait et maintient les États.

Qu’est ce maintenant que ce principe ou cette puissance de justice, le plus universel et le plus constant de nos instincts, sinon toujours le plus énergique ? C’est le respect de notre propre dignité, le respect de notre âme, respect qui nous saisit à la vue non-seulement de ce qui nous souille et nous offense, mais de tout ce qui offense et souille notre semblable…

Ainsi Hobbes s’est trompé, en premier lieu, sur la religion, dans laquelle il a vu soit une institution d’en haut, soit une invention des prêtres, et que nous regardons aujourd’hui comme la symbolique ou formule primitive de la société et de la justice. Il s’est trompé sur la nature de la société, qu’il a conçue comme le résultat d’une simple nécessité et d’un calcul d’intérêt, tandis qu’elle est aussi le produit d’une faculté expresse de notre âme, qui nous y pousse en même, temps que notre appétit irascible nous pousse à la guerre. Il s’est trompé sur le caractère et l’essence de la paix, qu’il définit négativement tout le temps qui n’est pas donné à la guerre. Il s’est trompé sur la guerre elle même, qu’il considère comme un état de malheur,