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est pour l’homme, à l’état de nature, un ennemi, il semble que la discussion devait s’arrêter là. Le premier paysan venu, à défaut des docteurs en théologie, pouvait dire à Hobbes : « Mon bon monsieur, s’il est vrai qu’à l’état de nature nous ne sommes que des bêtes féroces, toujours prêtes à nous entre-dévorer, il est clair qu’il n’y a de morale qu’en Dieu et dans la religion, de justice que dans la religion, d’autorité que dans la religion, de vraie et bonne politique que dans la religion ; que par conséquent votre droite raison est une sotte, qui fera bien de retourner au catéchisme ; et que vous-même, au lieu de philosopher, vous n’avez rien de mieux à faire, ainsi que nous pauvres paysans, que de méditer la sainte Écriture, travailler la semaine, et le dimanche chanter des psaumes. »

L’argumentation eût été sans réplique. Mais Hobbes ne pouvait s’y rendre : car, s’il est vrai que, l’identité du principe moral et du principe religieux une fois admise, il n’y ait plus lieu à chercher les fondements rationnels de la société, la distinction entre la religion et la raison, celle de science sacrée et de science profane n’en subsiste pas moins ; et Hobbes était toujours fondé à se demander, non plus peut-être si ce qu’on appelle justice et morale avait encore lieu hors de la religion, mais comment, hors de la religion, avec ou sans justice, avec ou sans morale, l’homme et son compagnon parviendraient à sortir, plus ou moins, de leur état antagonique et à s’entendre.

Ainsi, battu par ses propres armes, qui sont celles de la dialectique, mais fidèle au principe indestructible de la distinction de la foi et de la raison, Hobbes poursuit sa route. Autant il fait de pas, autant de chutes. Voici enfin où il aboutit.

On sait que le philosophe allemand Hegel part du néant pour arriver à l’être ; Hobbes suit un procédé analogue. Il part de l’état de guerre pour arriver à l’état de société, du