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Certes, nous avons vu, depuis douze ans, poursuivre des utopistes bien moins dangereux que ceux-là ; des hommes qui, s’ils s’égaraient dans leurs aspirations vers l’avenir, n’abusaient pas du moins de la confiance publique, ne travaillaient pas à ruiner dans l’esprit de leurs auditeurs l’État qui les payait. Comment la vertu patriotique ne fléchirait-elle pas, à la longue, dans une nation à qui ses docteurs enseignent de si belles choses ? Comment, surtout, l’armée conserverait-elle le moindre respect pour le droit et la morale, quand elle s’entend répéter sur tous les tons qu’elle n’est, ne saurait être jamais qu’un instrument de violence brutale ?

Horace, le poète épicurien, venu après les guerres civiles, et qui, il nous l’a raconté lui-même, ne brillait pas précisément par la vertu guerrière, Horace nie positivement qu’il y ait rien de commun entre la guerre et le droit. Que ton Achille, dit-il à son jeune poète, ne reconnaisse ni loi ni droit que les armes : Jura neget sibi nata, nihil non arroget armis.

C’est d’après ce modèle de fantaisie, et sur la foi de juristes ignares, que vous entendrez plus d’un militaire, brave d’ailleurs et plein d’honneur, mais oubliant que le premier magistrat fut un chef d’armée, accorder ingénument que la justice n’est pas le fait de l’homme de guerre, que le soldat ne connaît de loi que son épée, et que si, dans la bataille et dans la victoire, il lui plaît d’user de modération, c’est pure générosité de sa part et parce que cela ajoute à sa gloire. Guerre et droit, disent volontiers les militaires, comme vertu et vice, sont choses contraires, sans rapport entre elles, inconciliables. Grotius cite à cette occasion une multitude de dits célèbres, conservés par les auteurs, et qui ne prouvent qu’une chose, à savoir : Que si la notion du droit de la guerre s’est depuis longtemps corrompue dans les armées, c’est surtout grâce aux fausses