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peuvent plus exprimer une pensée qui ne soit une injure à la nation. Qu’ils se taisent, s’il leur reste, à défaut de bon sens, une étincelle de patriotisme. L’abstention est leur droit, à eux, et c’est plus que jamais leur devoir. « 

Quant à moi, en dépit des murmures de mon cœur, je n’appelle pas de cette condamnation. Je consens à faire le mort, tant je me sens véritablement mortifié. A Dieu ne plaise que j’imite le vieux Buonarotti revenant après trente-six ans, en pleine bourgeoisie de juillet, livrer aux flétrissures de la postérité les corruptions du Directoire ! La société nous évince ; eh bien, je prends acte de l’éviction.

Mais voici ce qui m’a engagé, après tant de mésaventures, à reprendre la parole, et ce que je prie mes concitoyens de recevoir en bonne part. C’est chose qui les intéresse, où il ne s’agit ni de république ni de socialisme, et qui ne saurait causer le moindre déplaisir à l’Église, à l’Empereur, pas même à la propriété. Au contraire.

En 1859, la guerre éclate entre le Piémont et l’Autriche : la France prend parti pour les Piémontais. On sait quel fut le résultat de cette campagne foudroyante : les faits étaient accomplis, que l’opinion n’avait pas même eu le temps de se former sur l’entreprise. Encore aujourd’hui, après deux ans, la multitude des esprits est restée, quant à la valeur morale, politique et historique de l’événement, dans la plus complète incertitude. Bien des gens trouvent que la guerre n’est plus de notre siècle ; la gloire des armes et la conquête touchent peu une société livrée au mercantilisme, qui sait ce que coûtent les batailles, et ne croit pas au profit. Quant aux questions de nationalité, d’unité, de frontières, et autres ; ce n’est faire la critique de personne, de dire que la contradiction est partout. La nationa-