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blissement des juridictions, la validité des législations, toutes choses qui, pour le commun des mortels, dérivent du droit de la force ? Il est évident qu’elle n’y va pas ici de franc jeu ; son enseignement couvre une hypocrisie. Après avoir déclaré, assez haut pour que de toutes parts on l’entende, qu’elle ne croit ni à un droit de la guerre, ni à plus forte raison à un droit de la force, elle se met à parler comme tout le monde, transigeant avec sa conscience, et essayant, à grand renfort d’équivoques et de restrictions mentales, de rajuster sa doctrine ésotérique avec la foi du vulgaire.

J’ai dit déjà ce qu’entend l’école, in petto, par ce mot, droit de la guerre. Redisons-le encore, et tâchons d’en faire un peu honte à nos savants jurisconsultes.

Une chose que sentait profondément Grotius, et qui honore sa mémoire ; que nous sentons d’autant mieux nous-mêmes que nous sommes plus avancés en civilisation, c’est qu’à quelque degré de fureur que l’intérêt, le fanatisme ou la haine poussent deux nations, l’humanité ne doit jamais perdre entièrement ses droits ; qu’en conséquence, jusqu’au milieu du carnage, il y a lieu de pratiquer la charité et la justice ; qu’à défaut de prescription positive cette mansuétude nous est commandée à tous, au fort comme au faible, dans l’intérêt de notre dignité et de notre conservation morale. C’est par l’effet de ce sentiment que, depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, la guerre a perdu de siècle en siècle de son atrocité ; et c’est, entre autres motifs, afin de réduire toujours davantage les tueries et les dévastations, que se sont introduites ces lois, dont l’ensemble constitue le code de la guerre, et témoigne hautement de la perfectibilité de notre espèce.

En deux mots, le droit de la guerre est le respect de l’humanité dans la guerre : voilà ce que répondent Grotius et, après lui, tous les publicistes.