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affirme, sans hésiter, la réalité d’un droit de la guerre, par suite une juridiction de la force.

C’est qu’en effet il y a dans les batailles humaines quelque chose de plus que de la passion, et dont la théorie affligeante de Hobbes ne rend pas compte. Il y a cette prétention singulière, qui n’appartient qu’à notre espèce, savoir, que la force n’est pas seulement pour nous de la force, mais qu’elle contient aussi du droit, que dans certains cas elle fait droit. Ainsi que nous l’avons observé, les animaux se battent entre eux, ils ne se font pas la guerre ; il ne leur viendra jamais à l’esprit de réglementer leurs combats. Le lion a l’instinct de sa force, c’est ce qui fait son courage ; il n’a nul sentiment d’un droit résultant de cette force, et ceux qui ont doté ce carnassier de je ne sais quelle générosité chevaleresque, ne l’ont pas peint d’après nature : demandez à Gérard, le tueur de lions ; ils l’ont fait, sans s’en douter, à leur propre image. L’homme au contraire, meilleur ou pire que le lion, c’est ce dont la critique décidera, l’homme aspire, de toute l’énergie de son sens moral, à faire de sa supériorité physique une sorte d’obligation pour les autres ; il veut que sa victoire s’impose à eux comme une religion, comme une raison, en un mot, comme un devoir, correspondant à ce qu’il nomme son droit. Voilà en quoi consiste l’idée de guerre ; ce qui la distingue éminemment des combats des bêtes féroces ; ce qui, avec le progrès du temps, a introduit peu à peu, parmi les peuples, ces conventions singulières, appelées lois de la guerre. Voilà ce que ni Hobbes, ni les autres n’ont jamais su démêler dans le phénomène, mais sur quoi, je le répète, l’universalité du genre humain n’hésite pas.

C’est à ce sentiment profond d’un droit résultant de la victoire, à cette opinion innée en nous, que toute législation est originairement et essentiellement guerrière ; c’est,