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Si donc il était vrai, comme le prétend l’universalité des jurisconsultes, qu’une pareille juridiction ne fût qu’un préjugé de la barbarie, une aberration du sens moral, il s’ensuivrait que toutes nos institutions, nos traditions et nos lois, sont infectées de violence et radicalement viciées ; il s’ensuivrait, chose terrible à penser, que tout pouvoir est tyrannie, toute propriété usurpation, et que la société est à reconstruire de fond en comble. Il n’y aurait consentement tacite, prescription, conventions ultérieures, qui pussent racheter une telle anomalie. On ne prescrit pas contre la vérité ; on ne transige pas au nom de l’injustice ; en un mot, on n’édifie pas le droit sur sa propre négation. — Que si, au contraire, c’étaient les juristes eux-mêmes dont la philosophie superficielle a méconnu la réalité et la légitimité du droit de la force, le mal serait alors beaucoup moindre ; mais l’enseignement du droit devrait être intégralement réformé, à peine de livrer la législation, les tribunaux, l’État, la morale publique, l’esprit de l’armée, aux perturbations les plus regrettables.

Posons la question dans toute sa gravité.

La guerre existe, aussi ancienne que l’homme. C’est par elle que l’humanité commence son éducation, et qu’elle inaugure sa justice. Pourquoi ce sanglant début ? Peu importe, quant à présent. C’est un fait dont nous rechercherons plus tard les motifs et la cause ; mais qu’il nous faut d’abord accepter, au moins comme fait. Rien n’est absolu, dit-on, rien n’est impitoyable comme un fait.

Or, tandis que la science et l’érudition classique récusent la moralité de ce fait, et conséquemment sa valeur juridique ; tandis que Hobbes, ramenant tout aux nécessités de la matière, niant l’immanence de la justice en nous et son efficacité sociale, ne découvre dans le fait de la guerre qu’une manifestation de la force aveugle et immorale, la conscience universelle y reconnaît un de ses éléments ; elle