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assez fort pour combattre, et qui, ne voulant pas que ses hommes se battent, se charge de dire lui-même le droit, de faire justice. Mais cette substitution du jugement du prince au combat des parties, d’où vient-elle ? Tout simplement de ce principe que qui a la force a la raison, et que, devant le jugement exprimé du prince, nul n’a droit d’affirmer un sentiment contraire. Le vermisseau s’insurgera-t-il contre le lion, ou l’hysope contre le cèdre ? Ce serait tout aussi absurde.

Mais qui sera le dépositaire de cette force ou puissance publique, dont l’un des principaux attributs est de dire le droit ? — Le plus fort.

Tout cela, remarquons-le bien, ne signifie pas, comme ont l’air de le dire les juristes, que la force fait tout le droit, qu’il n’y a pas d’autre droit que la force ; cela veut dire simplement que la force constitue le premier et la plus irréfragable des droits ; que si, postérieurement, il s’en crée d’autres, ils relèveront toujours, en dernière analyse, de celui-là ; qu’ainsi, tandis qu’entre individus de la même cité le combat judiciaire est remplacé par le jugement du prince, entre cités indépendantes, le seul droit reconnu, le seul jugement valide, sera toujours celui de la force.

C’est pour cela que, dans l’opinion de tous les peuples, la conquête, prix de la force et du courage, est réputée légitime, la plus légitime des possessions, fondée qu’elle est sur un droit supérieur à toutes les conventions civiles, à l’usucapion, à la succession patrimoniale, à la vente, etc., sur le droit de la force. De là, l’admiration des peuples pour les conquérants, l’inviolabilité que ceux-ci s’arrogent, la soumission qu’ils exigent, le silence qui se fait devant eux, siluit terra in conspectu ejus.

Le respect de la force, la foi en sa puissance juridique, si j’ose ainsi dire, a suggéré l’expression de guerre juste et sainte, justa et pia bella ; ce qui n’a pas tant rapport,