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le belliqueux Romain s’était permis tant d’injustices ! Avant Cicéron, Aristote avait écrit que la guerre la plus naturelle est celle qu’on fait aux bêtes féroces et aux hommes qui leur ressemblent. En traitant, à l’exemple du philosophe grec, le recours aux armes de procédé bestial, Cicéron refuse positivement à la guerre toute valeur juridique, et jette sur ce mode primitif de régler les différends internationaux une défaveur dont, aux yeux de l’École, il ne se relèvera plus. Ses paroles, cependant, eussent soulevé la protestation des vieux Quirites, adorateurs de la lance, quir, religieux observateurs du droit de la guerre, qui, pour donner plus d’authenticité à ses jugements, s’abstenaient dans leurs expéditions d’employer contre leurs ennemis la surprise et la ruse, n’estimaient que la bravoure, et regardaient toute victoire obtenue par un combat déloyal comme une impiété.

Ainsi éclate, à chaque pas, la divergence entre le témoignage universel et les idées de l’École. Selon le premier, il y a un droit de la guerre ; suivant la seconde, ce droit n’est qu’une fiction. La guerre est un jugement, dit le consentement des nations ; la guerre n’a rien de commun avec les tribunaux, réplique l’École : c’est une triste et funeste extrémité. Depuis Cicéron, la jurisprudence en est là.

Grotius se range à l’avis de Cicéron. L’idée d’une décision rendue par les armes lui rappelle le combat judiciaire, employé au moyen âge, et qu’il traite de superstition. Bien loin qu’il considère la guerre comme un jugement, il y voit au contraire l’effet de l’absence de toute justice, la négation de toute autorité judiciaire. C’est dans cette pensée qu’il a composé son livre. Que les nations, dit-il, comme les citoyens, apprennent à déterminer leurs droits mutuels ; qu’elles se constituent elles-mêmes en tribunal arbitral, et il n’y aura plus de guerre. Gro-