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juridique, s’il ne s’y trouve rien qui la relève, si elle est l’assassinat, le vol, comme le crient les avocats du Congrès de la paix, comment, chez des nations de vingt, trente, soixante millions d’âmes, rencontre-t-elle si peu d’opposition ? Comment, au contraire, l’a-t-on vue embraser le monde et devenir quelquefois générale ? Il est inouï que des individus chargés de crimes et vivant du crime forment entre eux des sociétés régulières ; le premier ennemi du brigand est son complice. Qui dit association dit justice ; or, justice et crime, la première comme moyen, le second comme fin, sont incompatibles. À plus forte raison, il répugne qu’un peuple en masse se passionne pour la guerre avec la conviction de l’iniquité de sa cause ; et ce qui est plus inexplicable encore, c’est que, en toute guerre, il ne s’élève pas, contre l’un ou contre l’autre des belligérants, un cri de réprobation qui l’arrête.

Il faut donc que la question de droit se pose dans la guerre d’une toute autre manière que ne l’entendent les auteurs, et il faut que partout, chez les belligérants et chez les neutres, les esprits en soient bien convaincus, pour que les sentiments qu’éveille la guerre soient diamétralement opposés, quant à la moralité du fait, à ceux qu’inspirerait le spectacle d’une caravane de pèlerins attaquée par une bande de voleurs.

Interrogeons les chefs d’armée. Ce qui soutient le courage du soldat, c’est avant tout sa conscience. Le soldat se dit, non-seulement sur la foi de ses chefs, qui est celle de sa nation, qui est celle du genre humain, mais sur la foi de son sens intime : que la guerre est la manifestation, la plus terrible il est vrai, mais la plus grandiose de la justice ; qu’à ce titre elle est entourée, comme une grande assise, de solennités et de règles ; que, nonobstant l’effusion du sang, l’humanité y trouve ses droits ; que les exécutions de la guerre sont déterminées par une loi supé-