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nous disent-ils, sont termes qui s’excluent réciproquement. On entend par lois de la guerre, certaines réserves d’humanité que l’usage commun des peuples a introduites dans le jeu sanglant des batailles, et que l’opinion impose aux belligérants, uniquement en vue de mettre un frein aux sévices, et de réduire le carnage, si l’on peut ainsi dire, au strict nécessaire. La guerre, en effet, dit Hobbes, ne saurait être considérée comme un phénomène essentiel à la vie des nations, phénomène qui, par conséquent, portant ses lois en lui-même, donnerait lieu à un droit positif. Elle est, au contraire, diamétralement opposée à la félicité des peuples et à la conservation du genre humain. C’est, comme la famine, la peste ou la folie, un fléau dont on est obligé de faire la part, si on veut parvenir à s’en rendre maître. Voilà pourquoi, ajoute Grotius, jusque dans la fureur des combats, l’homme ne doit pas oublier qu’il est homme et qu’il a affaire à des hommes. Les lois de la guerre n’ont pas d’autre sens.

On ne citerait pas, en matière de morale, un second exemple d’un pareil désaccord entre la croyance des masses et le sentiment des doctes. Jamais la raison philosophique et la foi intuitive ne parurent en opposition plus flagrante. Et ce qu’il y a de plus étrange, tandis que la raison philosophique règne dans les écoles, dans les livres, dans les cours de justice et les conseils des princes ; tandis qu’elle a, ce semble, tout ce qu’il faut pour imposer ses arrêts et faire prévaloir ses définitions, c’est la foi vulgaire qui, de haut, continue à régir le monde, et qui mène les affaires des nations.

Ici les objections se pressent sous la plume. Si le droit de la guerre est une chimère, comment une pareille croyance, si spontanée, si universelle, si persévérante, a-t-elle pu se former ? Comment la religion l’a-t-elle partout sanctifiée ? Comment cette horrible superstition n’a--