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l’amour. Pour eux, le droit de la guerre n’est pas autre chose qu’une sorte de fiction légale, suggérée par le malheur des temps, afin de mettre un terme a la lutte des passions et des intérêts, et de prévenir, par la modération du vainqueur et la résignation du vaincu, la destruction totale de celui-ci, quelquefois de tous deux. En elle-même, disent les doctes, la guerre est incompatible avec la notion du droit ; elle ne contient rien qui y ressemble. Bien qu’elle donne lieu à des droits de diverses espèces, qu’elle se pose comme la revendication ou l’exercice d’un droit, elle est, par nature, étrangère au droit ; elle en est la suspension violente, injurieuse.

C’est d’après cette explication qu’il faut entendre les auteurs lorsqu’ils parlent de guerre juste et de guerre injuste. Par guerre juste, il ne faut pas entendre, selon eux, une lutte à main armée, conduite d’après certaines règles, et pour un litige qui requiert ce mode de solution ; ce qui impliquerait que, dans la guerre juste, le droit étant incertain ou égal, les deux puissances belligérantes sont également fondées dans leurs prétentions et honorables, et que l’objet du litige relève de la compétence des armes. Dans l’opinion des juristes, et d’après toutes leurs définitions, la justice de la guerre est essentiellement unilatérale : pour qu’il y ait guerre juste chez A, il faut de toute nécessité qu’il y ait injustice chez B, son antagoniste ; ce qui étant posé, tous moyens sont bons pour faire respecter le droit, sauf ce qui est dû au respect de l’humanité. Quant à l’idée de faire servir la guerre à la manifestation même du droit, elle accuse, disent les légistes, la barbarie des nations en lutte ; c’est le contraire de la justice.

Ainsi, d’après ces auteurs, dans ce qu’on appelle communément lois de la guerre, il faut bien se garder de voir les formules, rédigées par chapitres et articles, d’un droit sui generis, dont la guerre serait l’expression. Droit et guerre,