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sur un titre illégitime, ne serait pas écouté de vous, et vous le dédaigneriez comme un sophiste.

Laissons donc la métaphysique du droit ; elle n’est pas du ressort des cours d’assises.

Rien, selon vous-même, messieurs les jurés, de plus justement acquis que ce que nous avons gagné à la sueur de notre visage ; rien aussi de plus formellement condamné par le catéchisme que de retenir le salaire des ouvriers.

La religion a fait de ce crime un des quatre péchés qui crient vengeance contre le ciel. Cela posé, je me suis demandé un jour de combien de manières on pouvait retenir le salaire à l’ouvrier ; et cet examen m’a fait découvrir des choses fort curieuses, des choses que vous ne soupçonnez pas, messieurs les jurés.

Si un ouvrier fait pour trois francs d’ouvrage en un jour, il est juste de lui donner trois francs. Toute retenue est un crime qui crie vengeance, ne l’oubliez pas. Or, le monde est plein de gens à qui l’on retient tous les jours quart, tiers, moitié de leur journée, et cela sans que le Code Napoléon, que certaines gens admirent à l’égal du Décalogue, ait seulement prévu le cas.

Une paire de souliers vaut, je suppose, cinq francs. Évaluant à deux francs cinquante centimes les fournitures de toute espèce qui entrent dans la fabrication d’une paire de souliers, le reste compose le salaire de l’ouvrier, le prix de sa journée de travail. Et admettant que l’ouvrier soit libre, qu’il reçoive intégralement son salaire, et que tous les jours il fasse une paire de souliers, on dira de lui qu’il gagne deux francs cinquante centimes par jour. Mais il arrive fréquemment qu’un ouvrier n’est pas connu de la pratique, ou bien qu’il n’a pas de quoi former un établissement ; d’ailleurs, il en est d’une clientèle comme d’un fonds de terre ; elle s’attache aux individus, se transmet de père en fils, et ne l’obtient pas qui veut. Le public a ses habitudes, il se donne à une boutique, à une enseigne ; rien n’est plus capricieux que sa faveur. Dans ce cas, l’ouvrier qui est sans ouvrage offre ses services à un