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DE L’IDÉAL

Cette définition, prise en elle-même, ne présente aucune espèce de sens. L’inspiration, le je ne sais quoi, ce qui va à l’idée et qui frappe l’âme, sont des mots écrits en caractères noirs sur des nuages bleus. Après l’analyse un peu longue dans laquelle nous sommes entrés, on voit ce que sentait Eugène Delacroix, sans pouvoir l’exprimer : c’est qu’il existe en nous une faculté distincte que l’art est appelé à desservir ; que cette faculté consiste dans l’aperception des idées pures, archétypes des choses, — par suite du beau et du sublime, ou de l’idéal, — que la mission de l’artiste n’est pas de nous montrer, mais de nous faire sentir, au moyen de la parole ou des signes, et en se servant de figures, que nous avons appelées des idéalismes.

Nous pouvons maintenant donner la définition de l’art.

Nous avons observé précédemment (chap. ii) que la faculté esthétique était en nous une faculté de second ordre ; que là où elle devenait prédominante, il y

    les mouvements oratoires, sont des idéalismes : moyens employés par notre faculté esthétique pour idéaliser les objets et rendre plus vivement nos impressions. Dans un portrait, vous aimez à rencontrer d’abord la ressemblance, puis le caractère, la pensée habituelle et la passion du sujet : chose que l’art vous donnera mieux et plus sûrement que le daguerréotype, qui ne peut saisir une figure qu’instantanément, par conséquent avec le moins d’idéalité possible. Il n’est donc pas de peintre, d’artiste, de poëte, de romancier, d’orateur, qui n’ait à chaque instant recours à l’idéal : L’IDÉAL, C’EST TOUT L’ART.