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DU PRINCIPE DE L’ART

l’excellence de cet objet, de sa puissance et de sa bonne constitution. Le beau est le resplendissement du vrai, a dit Platon. Mais il n’en résulte nullement que la sensibilité esthétique chez l’artiste témoigne de la profondeur de sa connaissance ou de la pénétration de son esprit ; loin de là, on peut dire qu’elle est en raison inverse de l’esprit philosophique. Ce n’est guère qu’à cette condition qu’un artiste atteint aux sommités de sa profession. Sans doute l’art ne repousse pas la science ; il lui est même défendu, à peine de ridicule, de se mettre en contradiction avec elle ; il est condamné à s’y référer à mesure qu’elle se produit. Mais il ne l’attend pas ; il la prévient, dans son éclosion, la dépasse dans sa marche, la préjuge par ses inspirations, et va même, dans les siècles d’ignorance et chez la multitude des esprits faibles, jusqu’à la suppléer. Il en est de même du droit et de la morale : il s’en faut de beaucoup que la puissance esthétique d’un poète, d’un artiste destiné à célébrer les grands hommes, soit une garantie de la fermeté de sa conscience et un certificat de sa moralité. Je pourrais citer des exemples de vertu sévère parmi nos plus éminents artistes : malgré cela, il n’est que trop vrai que les poursuivants de l’idéal, artistes ou non de profession, sont les plus fragiles des humains. Assurément l’art, par sa nature, ne répugne pas à la justice, non plus qu’à la philosophie ; il lui est même interdit, à peine de déchéance,