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ÉVOLUTION HISTORIQUE

intéressé, toute rémunération nous paraît injurieuse. Comme le magistrat rend la justice sans recevoir de cadeaux, nous prétendons être nos propres juges et rester probes pour la seule gloire de la probité. Si notre pratique n’est pas toujours en cela d’accord avec notre théorie, il faut en accuser un reste d’habitude, les angoisses d’une société en transformation, et aussi la faiblesse inhérente à un être composé de chair et d’esprit. Au fond, nous avons fait du droit notre suprême idéal, et la justice pour la justice est notre maxime. Que peut donc signifier, dans une société, un tableau, comme celui de Michel-Ange, représentant le Jugement dernier, image effrayante de la sanction céleste ; ou celui de Prudhon, bien inférieur, où l’on voit la Justice humaine, peu clairvoyante, mais guidée parla Justice divine, et qui va saisir dans la nuit l’assassin qui se cache ? Jadis la place de ce tableau de Prudhon eût été à la cour d’assises : on l’a mis au musée comme une relique, en quoi l’on a eu raison. Quant au fameux Jugement dernier de Michel-Ange, les plus fervents admirateurs de l’art ne savent y voir aujourd’hui qu’une étude d’anatomie. A plus forte raison ne supporterions-nous plus ces Thémis, ces Némésis, ces Adrastées, ces Tisiphones de la vieille mythologie, qui, en effrayant les coupables, inspirèrent tant de chefs-d’œuvre aux portes et aux artistes. Ce que nous demandons dans notre orgueil juridico-philosophique, c’est bien moins le cou-