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ÉVOLUTION HISTORIQUE

un fait sur lequel on peut dire que l’opinion de la majorité change tous les dix ou quinze ans. Quelle opinion se former, d’après cela, d’une composition artistique ayant pour but de célébrer ce même fait ? Que l’on y réfléchisse, et l’on verra que, sous ce rapport, le Serment du Jeu de paume a quelque chose de louche Qui trouble : l’esprit et ne laisse pas une impression nette. Sont-ce des émeutiers que nous voyons, ou les fondateurs de la liberté, les pères de la Révolution ? qui peut le dire ? La plupart périront sur l’échafaud, émigreront ou se rallieront à un nouveau despotisme. Le grand défaut de l’œuvre de David,-c’est, je le répète, qu’elle soulève un doute insoluble ; que les figures apparaissent tout autres, suivant qu’on les considère du point de vue de l’approbation ou du blâme : c’est que l’artiste n’a pas eu conscience de ce doute, parce que s’il en avait eu conscience, son devoir aurait été d’y apporter toute son attention : ce qui aurait fait de sa composition une œuvre unique.

Le Marat expirant est un éclair dans la nuit orageuse de la Révolution. Je ne sais, quant à moi, quelle sorte de reproche on pourrait faire à ce tableau, où l'auteur n’a eu qu’à reproduire la réalité telle qu’il l’avait vue une heure après l’événement, pour atteindre au plus haut degré du pathétique et à la plus grande profondeur de l’idée. Qu’on pense de Marat, l'Ami du peuple, ce qu’on voudra, je l'abandonne à ses ennemis