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qu’avait fait concevoir la descente en Italie de l’armée française. Chacun sait combien à la guerre les événements modifient les résolutions ; il eût été sage d’en tenir compte : je ne me prévaudrai pas de ce manque de réserve. Ce n’est pas moi, fédéraliste, qui chicanerai l’indépendance à qui que ce soit. Mes observations ont un autre but.


La nationalité n’est pas la même chose que l’unité : l’une ne suppose pas nécessairement l’autre. Ce sont deux notions distinctes, qui, loin de se réclamer, bien souvent s’excluent. Ce qui constitue la nationalité suisse, par exemple, ce qui lui donne l’originalité et le caractère, ce n’est pas la langue, puisqu’il se parle en Suisse trois idiomes ; ce n’est pas la race, puisqu’il y a autant de races que de langues : c’est l’indépendance cantonale[1]. Or, l’Italie, non

  1. L’article 109 de la Constitution fédérale suisse porte : « Les trois principales langues parlées en Suisse, l’allemand, le français et l’italien sont langues nationales de la Confédération. » Cet article, dicté par la nécessité et le simple bon sens, est un des plus remarquables que j’aie rencontrés dans aucune constitution ; il répond admirablement à la fantaisie nationaliste de l’époque. Les constituants de l’Helvétie ne pouvaient mieux témoigner qu’à leurs yeux la nationalité n’est pas chose purement physiologique et géographique ; c’est aussi, et bien plus encore, chose juridique et morale.
    …...On ne l’entend pas ainsi dans les États unitaires : là vous ne trouvez plus ni le même respect des idiomes ni le même sentiment de la nationalité. Dans le royaume des Pays-Bas, fondé en 1814 et qui dura jusqu’en 1830, sous le roi Guillaume, d’ailleurs excellent prince, la langue française était à l’index dans l’intérêt de l’unité, on lui refusait la nationalité. Depuis la révolution de 1830 et la séparation de la Belgique, sous le roi Léopold, c’est le tour du flamand (la même langue que le hollandais) d’être regardé comme étranger, voire même hostile, bien qu’il soit parlé par les deux tiers de la population belge. J’ai entendu d’honorables citoyens des Flandres se plaindre de manquer de notaires et de magistrats qui comprissent leur langue, et accuser très-haut la malveillance du gouvernement. Une domestique flamande, envoyée à la poste pour retirer ou affranchir une lettre, ne trouvait à qui parler. Apprenez le français, lui disait brusquement l’employé. MM. les gens de lettres parisiens observeront sans doute que l’extinction du flamand ne serait pas pour l’esprit humain une grande perte ; il en est même qui poussent l’amour de l’unité jusqu’à rêver d’une langue universelle. En tout cas ce n’est pas de la liberté, ce n’est pas de la nationalité, ce n’est pas du droit.