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doit peser sur elle qu’elle en porte la responsabilité devant l’histoire[1].


Oh ! je les entends se récrier, ces grands politiques : Oui, nous avons voulu les expéditions de Crimée et de Lombardie, parce qu’en elles-mêmes ces expéditions étaient utiles et révolutionnaires. Mais nous avons protesté contre la manière dont elles ont été conduites : pouvons-nous répondre d’une politique qui ne fut pas la nôtre ? Oui, nous avons voulu l’expédition du Mexique, bien que dirigée contre une nationalité républicaine ; nous l’avons voulue parce qu’il importe de ne pas laisser tomber le prestige de la France, organe suprême de la Révolution. Oui, nous

  1. La différence du régime économique et le mélange des races, avaient développé aux États-Unis deux sociétés divergentes, hétérogènes, dont la présence au sein de la même confédération devait paraître tôt ou tard incompatible. L’Union devait donc être rompue, ou l’esclavage aboli. Rien de plus simple que cette abolition, même par la force, si le Nord l’eût voulue sérieusement : Proposer un plan d’émancipation graduelle, avec indemnité ; en cas de refus de la part du Sud, déclarer, au nom de la loi, les esclaves libres, c’est-à-dire citoyens des États-Unis ; bloquer les États esclavagistes et accueillir les fugitifs. Il n’y avait pas de résistance possible à l’efficacité morale et matérielle d’un pareil plan. Mais on pouvait prévoir qu’une si haute charité dépassait la vertu américaine, aussi bien dans le Nord que dans le Sud. Il ne faut pas exiger d’une race plus que son tempérament ne comporte : le Noir est inférieur au Blanc par le génie philosophique et par la beauté du visage ; peut-être l’emporte-t-il sur l’Anglo-Saxon par la tendresse du cœur et par la docilité. Gardons-nous ici d’accuser la volonté humaine des répugnances de la nature : ce n’est pas le moyen de créer la fraternité entre les peuples. L’antipathie de l’Anglo-Saxon pour le Noir tient au caractère germanique, à la pudicité naturelle aux races du nord, leur esprit de famille, qui leur fait prendre en horreur toute fusion et croisement, comme une promiscuité. L’influence de la Bible, qui défend tout commerce entre les purs et les impurs, se reconnaît également ici. Quoi qu’il en soit, l’Europe sait aujourd’hui que les intentions du Nord ne sont nullement de transformer les esclaves du Sud en citoyens, en confédérés, en frères, mais tout simplement de les déporter, le mot est de M. Lincoln, et de les remplacer par des travailleurs blancs ; ou bien si l’on recule devant une aussi grosse entreprise que la transportation à deux mille lieues de quatre millions et demi d’hommes, de permettre à ceux qui en témoigneraient le désir de résider dans le pays, mais dans une condition inférieure, celle des parias. C’est pour cette belle œuvre qu’on agite les consciences dans les deux hémisphères ; c’est sur cette déchéance, devenue officielle cette fois, de la race noire, déchéance bien autrement profonde et irréparable que la servitude actuelle, que l’on rêve de reconstituer l’Union. Voilà ce que patronnent à l’envi, et la presse libérale, et la Démocratie unitaire, et la science académique, et l’économie malthusienne. Il fallait avertir le préjugé américain, venir en aide à l’incompatibilité du sang : on a soufflé la discorde et applaudi le pharisaïsme. Cette liberté du travail n’est-elle pas le digne pendant du libre-échange ? Par l’une se généralise et se consolide le prolétariat ; par l’autre le monopole, jadis localisé, devient cosmopolite et embrasse le globe entier.