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gislateur, la Puissance, la Domination, la Patrie, l’État ; il a ses Convocations, ses Scrutins, ses Assises, ses Manifestations, ses Prononcements, ses Plébiscites, sa Législation directe, parfois ses Jugements et ses Exécutions, ses Oracles, sa Voix, pareille au tonnerre, la grande voix de Dieu. Autant il se sent innombrable, irrésistible, immense, autant il a horreur des divisions, des scissions, des minorités. Son idéal, son rêve le plus délectable, est unité, identité, uniformité, concentration ; il maudit, comme attentatoire à sa Majesté, tout ce qui peut partager sa volonté, couper sa masse, créer en lui diversité, pluralité, divergence.


Toute mythologie suppose des idoles, et le Peuple n’en manque jamais. Comme Israël au désert, il s’improvise des dieux quand on ne prend pas soin de lui en donner ; il a ses incarnations, ses messies, ses Dieudonnés. C’est le chef de guerre élevé sur le pavois ; c’est le roi glorieux, conquérant et magnifique, semblable au soleil, ou bien encore le tribun révolutionnaire : Clovis, Charlemagne, Louis XIV, Lafayette, Mirabeau, Danton, Marat, Robespierre, Napoléon, Victor-Emmanuel, Garibaldi. Combien qui, pour monter sur le piédestal, n’attendent qu’un revirement d’opinion, un coup d’aile de la fortune ! De ces idoles, la plupart aussi vides d’idées, aussi dénuées de conscience que lui-même, le peuple est zélateur et jaloux ; il ne souffre pas qu’on les discute, qu’on les contredise, surtout il ne leur marchande pas le pouvoir. Ne touchez pas à ses oints, ou vous serez traité par lui comme sacrilége.


Plein de ses mythes, et se considérant comme une