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médie ; le Romain met ordre à son droit : il fait son testament.

Avec cet esprit juridique, les armes de Rome sont partout triomphantes : elles eussent vaincu, au moyen âge, sous Louis XIV, nos baïonnettes chrétiennes, comme elles vainquirent la cavalerie numide, la phalange macédonienne, la marine carthaginoise et les éléphants d’Antiochus. Elles n’eussent plié que devant les armées de la République, combattant pour un droit supérieur.

Au dehors, avec ses voisins, ses ennemis, ses alliés, ses sujets, Rome ne parle que le droit. Malgré tant de perfidies et de spoliations, ce langage impose ; il n’a pas son pareil sur la terre. La parole de Rome fait taire toute parole, comme son épée brise toute épée. La révolte ne tient nulle part, ni en Gaule, ni en Espagne, ni en Afrique, ni en Judée. Il semble aux peuples vaincus que le retour à l’autonomie serait pour eux une rétrogradation dans la Justice ; ils n’en veulent pas. Le patriotisme s’incline devant l’image étrangère du droit. Tout imparfaite que la fit Rome, l’équation de la liberté, présentée par elle, paraît supérieure à la nationalité même, supérieure à la patrie, traitée partout d’ennemie du peuple, d’aristocrate. Erreur fatale, qui devait aboutir à la ruine du monde ancien, mais qui témoigne singulièrement de l’attrait des âmes pour la Justice. Sans liberté, sans nationalité, la Justice n’est plus qu’un mot : nous le verrons tout à l’heure.

Rome devint souveraine par sa faculté de juridiction ; cela devait être. Les races que rencontrèrent ses légions étaient gouvernées par l’idéalisme ; là, l’imagination tenant lieu de conscience, la Justice restait sans force. La langue nommait le droit ; le cœur ne le comprenait pas. Qu’étaient les constitutions d’un Minos, d’un Lycurgue, d’un Pythagore, d’un Platon ? Un idéal communautaire.