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erronée, et tandis que, grâce à l’idéal dont elle la revêt, elle croit avoir saisi la Justice dans la sublimité de son essence, elle n’a produit qu’une fausse divinité, une idole.

Or, jusqu’à ce que la liberté ait appris, par un long exercice du droit et de la raison, à réduire à sa juste valeur cet incrément de sa fantaisie, il est inévitable qu’elle le prenne pour une manifestation de l’Absolu, auteur et sujet de la Justice ; qu’elle se passionne pour cette image, s’oublie elle-même et néglige pour ce culte funeste la Justice, seule digne de son respect ; et cela avec une raison d’autant plus plausible que la Justice paraît n’être elle-même que le commandement, plus ou moins obscur, de cet Absolu divin, dont elle croit posséder le gage et la parole.

L’idolâtrie, en un mot, le christianisme l’a fort bien dit, mais sans comprendre le moins du monde sa propre parole, idolâtre qu’il était lui-même : voilà la cause première du péché, principe de toutes les défaillances et dissolutions sociales.

C’est ainsi que les premières sociétés se firent autant d’idoles de la caste, de l’esclavage, de la polygamie, du despotisme ; et tout individu qui manque à la Justice, sans préjudice de l’excuse que lui fournit l’état d’antagonisme où il vit, agit de même : il obéit à un idéal.

Ce fut de toutes nos erreurs la plus grande et la plus funeste, d’attribuer le mal à une inclination perverse, à un mauvais principe ou une influence satanique.

La cause première du péché, indépendamment de l’insuffisance juridique des premiers fondateurs et de l’état de guerre qui s’est en conséquence généralisé partout, cette cause tant cherchée est dans ce que l’âme a de plus légitime et de plus saint, dans l’identité fondamentale, mais inaperçue, de la Justice et de l’idéal, la première incomplète dans ses notions, le second pris pour l’Ab-