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Mais je dis que, la Religion ayant été pendant neuf mille ans le principe, la forme et la sanction de la Justice, elle a bien mérité de l’humanité : à moins d’une scission obstinée de votre part, la Révolution ne refusera pas à cette vieille Église une pension alimentaire.

II. La philosophie nous enseigne encore que le mysticisme est un élément indestructible de l’âme, une forme de la pensée qui se manifeste surtout dans les choses de la vie morale. Que de preuves nous en avons eues depuis la Révolution !… Or, autant qu’il est possible de se faire une raison en pareille matière, l’expérience prouve qu’en fait de mysticisme, la nouveauté vaut toujours moins que la tradition : plus on change, plus on éprouve le besoin de changer ; le plus sûr, puisqu’on ne peut chasser tout à fait cette influence, puisque la conscience a toujours aimé à s’entourer de mystère et qu’il s’agit surtout aujourd’hui de sauver nos consciences, le plus sûr, dis-je, est de nous en tenir, à l’exemple de Socrate, de Cicéron et de César, à la foi de nos pères. Ai-je pu faire si bien, avec toute mon incrédulité, que l’image du Christ ne se glissât, chez moi, jusqu’au lit de ma femme ? Des rigoristes de la démocratie, l’ayant su, m’en avertirent. J’ai répondu : il y est, qu’il y reste. Les femmes sont toutes amoureuses du Christ ; elles le pleurent aujourd’hui, comme elles pleuraient autrefois Adonis. Le Christ, Adonis, c’est l’Humanité….. Ai-je pu empêcher aussi le petit bonhomme Noël de faire visite à mes enfants le matin de sa fête, et trois mois après de leur envoyer, de deux cents lieues, des œufs de Pâques ? Il est bien difficile, demandez à Auguste Comte, de ne pas entourer la naissance, le mariage, les funérailles, de quelque cérémonial, qui, si nu qu’on le fasse, révèle à l’instant toute la religion. Laissons donc le mysticisme, puisque, ni par force, ni par raison, nous ne saurions l’atteindre.