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gravé sur les marbres du Sinaï ou les granits des Alpes, vaudrait celui-là ?

Et comment la Révolution nous conduit-elle à cette découverte ? Ô vanité du mysticisme, folie de la transcendance ! par la négation du droit divin, par le blasphème, si j’ose ainsi dire, du nom sacré, incommunicable de Dieu. Rétablissez dans la philosophie morale l’hypothèse théologique, et toute moralité s’évanouit, le chaos s’étend sous nos pieds, plus de certitude, plus de liberté, plus de Justice, rien. Écartez de nouveau l’hypothèse fatale, et la création, en même temps que la société, reparaît. L’athéisme méthodique, aurait dit Descartes, est le fiat lux de la philosophie.

Nous allons de prodige en prodige.

Fondée sur la Justice, consistant uniquement dans une exposition de la Justice, la philosophie de la Révolution est à priori irréfutable. Je puis défier le dialecticien le plus subtil de trouver à cette cuirasse le moindre défaut, et, en attendant qu’il le trouve, lui signaler moi-même le côté par lequel sa critique, quelle qu’elle soit, tombera.

Aucun homme ne peut nier la Justice : qu’il l’essaie, un concert de protestations va s’élever, de toutes les poitrines humaines, autour de lui.

Or, la Justice n’est rien, ou elle est nécessairement telle que je l’ai dite : c’est plus qu’une notion, un rapport, une spéculation économique, un procédé utilitaire ; c’est un sentiment impérieux de l’âme, une puissance énergique, qui s’affirme, se veut, s’impose, ne souffre ni réclamation ni raillerie ; de toutes les facultés de l’être vivant la plus dominatrice, la plus nécessaire, à laquelle la nature a donné pour organe, non un appareil particulier comme à l’entendement, non pas même un individu comme à la liberté, mais un couple, une âme double, une existence en deux volontés et deux personnes.