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bole, qui est l’idéal, tombe-t-il au-dessous de la réalité qu’il exprime ?

L’art, selon M. de Schelling, est le couronnement de la science philosophique, la floraison du savoir, avait dit Young. Comment, si la racine et la tige se développent toujours, produisent même, ce qui vaut mieux, des fruits toujours plus beaux, la floraison est-elle nulle ? Comment, en ajoutant sans cesse à ses triomphes, la science perdrait-elle sa couronne ?…

J’insiste sur la thèse que j’ai soutenue précédemment (Étude IX), toute paradoxale qu’elle soit : la rétrogradation de l’idéal est une apparence de notre civilisation chrétienne, un effet des agitations de la conscience universelle et de la tristesse où, depuis plus de 2,000 ans, le dogme de la chute a jeté l’humanité.

La poésie est le chant de la liberté, glorieuse de sa propre vertu ; l’art, de même que la femme, son immortelle et toujours plus belle révélatrice, le moyen par lequel l’âme se provoque et s’excite à la Justice. Depuis que Platon, le premier, est venu raconter aux mortels effrayés l’histoire des enfers, les mystères de l’expiation et de la métempsycose, l’esprit a perdu sa sérénité, et nous sommes entrés dans les campagnes désolées. La poésie a cessé de couler, comme autrefois, limpide et sans effort ; elle est devenue un regret, une prière, une plainte, un rêve, une imprécation, une ironie, trop souvent une contrefaçon. Mais jusque dans cette condition malheureuse le génie a témoigné de sa puissance ; le talent des artistes a été, comme toujours, supérieur à l’angoisse générale : par là il s’est montré supérieur à lui-même, à ce qu’il avait été aux plus heureux temps de sa jeunesse.

La même solidarité qui, dans les sociétés modernes, engendre le paupérisme et soulève contre tout pouvoir le régicide et la révolte, détermine aussi la décadence de la