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le fait est plus puissant que tous les sophismes. C’est d’après ce principe que s’était établie jadis la confiscation, qui enveloppait dans le châtiment toute la famille du coupable, et que s’exerçaient ces proscriptions affreuses qui s’étendaient à toute une parenté, ascendante, descendante et collatérale. Certes, je loue la Révolution d’avoir fait de la personnalité de la peine un axiome de droit : il y a bien assez pour un fils, un père, un frère, de la désolation de son cœur et du déshonneur de son nom, sans qu’il doive répondre encore, par corps et par biens, d’un crime dont sa main est innocente. Mais n’est-ce pas désorganiser la Justice et tuer la morale, que de nier cette solidarité de famille, sans laquelle la Justice se dessécherait bientôt dans l’individualisme, et qui en dernière analyse fait toute la légitimité de la répression ?

Ce que nous venons d’observer dans la famille existe, quoique à un moindre degré, dans la tribu, dans la cité, dans la corporation, dans le parti, dans la nation : je n’en citerai pour le moment d’autre preuve que la solidarité d’intérêts qui constitue toutes ces collectivités, et les passions, préjugés, entraînements, qu’elle engendre. Qui dit solidarité d’intérêts dit nécessairement conscience commune, et dans une mesure variable solidarité de bien et de mal. Il n’y a pas, aujourd’hui, de vérité psychologique plus méconnue, je le reconnais ; il n’y en a pas de plus certaine.

Or, le péché, provoqué par la nature concupiscible et idéaliste de l’homme, assiége l’âme ; une fois commis, il tend à s’établir en habitude ; par l’habitude, il envahit l’une après l’autre toutes les puissances de l’être, de telle sorte qu’un premier vice, s’il n’est vigoureusement combattu et expurgé, devient infailliblement le père de plusieurs autres ; enfin l’âme pervertie, si elle est abandonnée